mercredi 10 janvier 2024

Toronto remplace le nom d'un abolitionniste par le terme emblématique d'une tribu africaine esclavagiste... (m à j).

Selon un nouveau sondage, la plupart des Torontois en ont assez des efforts déployés au niveau local pour rebaptiser la place Yonge-Dundas.

Au début du mois, l'institut de sondage Liaison Strategies a demandé à 831 résidents s'ils approuvaient l'idée de renommer la place Yonge-Dundas en Sankofa Square. Plus de sept personnes sur dix (72 %) s'y sont opposées et seulement 16 % y étaient favorables, rapporte le National Post.

"Notre sondage précédent, réalisé en octobre, avait révélé que les résidents étaient favorables au changement de nom de la rue Dundas (54 %), mais ce chiffre a chuté à 42 % lorsque les répondants ont été informés du coût de la mesure", a déclaré David Valentin, directeur de Liaison Strategies.
 


Billet originel du 17 décembre 2023
 
Pour démontrer son horreur de la traite des esclaves africains, le conseil municipal de Toronto efface le nom d’Henry Dundas, un abolitionniste (gradualiste) de l’esclavage, et le remplace par un terme emblématique dune tribu africaine qui a joué un rôle prépondérant dans… la traite des esclaves africains.

La place Yonge-Dundas à Toronto

Le conseil municipal de Toronto a voté à l’unanimité jeudi pour changer le nom de la célèbre place Yonge-Dundas de Toronto et l’appeler désormais « Sankofa Square » afin de la dissocier du lien supposé d’Henry Dundas avec la traite transatlantique des esclaves.

Non seulement Dundas était en fait un abolitionniste, mais le peuple Akan du Ghana, d’où est issu le mot « sankofa », participait activement à la traite des esclaves et importait des esclaves pour développer sa propre économie.

Comme l’a écrit l’universitaire A. Norman Klein, en reprenant les travaux du célèbre historien ghanéen Ivor Wilks, les Akan « ont échangé leur or contre ces esclaves, qui ont récompensé leurs maîtres akan en créant une “révolution agricole” au cours des quinzième et seizième siècles ».

[En général, la révolution agricole en Afrique de l’Ouest au XVIe siècle est surtout due à l’« échange colombien », c’est-à-dire l’apport par les Portugais des plantes venues d’Amérique. C’est ainsi que le maïs et le manioc, introduits par les Portugais d’Amérique du Sud au XVIe siècle, ont progressivement remplacé le sorgho et le mil en tant que cultures vivrières les plus importantes d’Afrique. Les Portugais introduisirent de nombreuses autres plantes comme la patate [douce], l’arachide, la papaye, la noix de cajou, etc.]


Les Akan importaient des esclaves pour les aider à défricher leurs forêts, où ils cherchaient de l’or, et vendaient également des esclaves aux Européens, alimentant ainsi la traite transatlantique des esclaves.

En 2006, le Ghana a présenté ses excuses aux descendants des esclaves pour son rôle dans la traite négrière.

La maire de Toronto, Olivia Chow, a déclaré que le changement de nom s’inscrivait dans le cadre de l’engagement de la ville à « lutter contre le racisme anti-Noirs, à faire progresser la vérité, la réconciliation et la justice, et à construire une ville plus inclusive et plus équitable ».

« La ville de Toronto s’est engagée à reconnaître l’impact de la traite négrière transatlantique et de l’esclavage, tout en se concentrant sur l’atténuation des coûts et des impacts sur les résidents et les entreprises », a déclaré Mme Chow. « En adoptant le nom de Sankofa Square, nous reconnaissons la nécessité de réfléchir aux enseignements du passé et de nous les réapproprier, ce qui nous permet d’aller de l’avant ensemble ». Le Centre culturel afro-américain de l’université d’État de Caroline du Nord explique que le concept de « sankofa » provient du « roi Adinkera du peuple Akan d’Afrique de l’Ouest » et se traduit par « il n’est pas tabou de revenir en arrière et d’aller chercher ce que l’on a oublié ». 


[En réalité sankofa veut simplement dire « récupérer », littéralement san — revenir ; ko — aller ; fa — chercher. C’est le concept de « racines ».

Dans un reportage ci-dessus qui pourrait être parodique, le « journaliste » de CTV prétend que « sankofa » signifierait « Le fait de réfléchir et de se réapproprier les enseignements du passé qui nous permettent d’avancer ensemble ». Les amis de Molière se souviendront de la scène du Bourgeois gentilhomme :

CLÉONTE [qui prétend parler turc]. —  Bel-men.

COVIELLE. — Il dit que vous alliez vite avec lui vous préparer pour la cérémonie, afin de voir ensuite votre fille, et de conclure le mariage.

MONSIEUR JOURDAIN. —  Tant de choses en deux mots ?

COVIELLE
. — Oui, la langue turque est comme cela, elle dit beaucoup en peu de paroles.

On notera aussi la première personne interrogée dans la rue qui, sans rire, ose prétendre que c’est une bonne décision parce que maintenant « nous sommes mieux éduqués et qu’on comprend plus l’histoire mieux (we’re more understanding history better) »…
]

Les historiens, même ceux de gauche, s’accordent à dire que Dundas était un partisan de l’abolition de l’esclavage. La controverse à son sujet provient d’un amendement qu’il a proposé à une motion d’abolition de William Wilberforce. Dundas voulait une abolition plus « graduelle » parce qu’il pensait que c’était le moyen le plus efficace de mettre fin à l’esclavage. Comme il aura fallu plus de 50 ans pour mettre fin à la traite transatlantique des esclaves, il avait sans doute raison.

Dundas a également appelé les dirigeants africains à cesser de se rendre complices de la traite des esclaves, ce qu’ils ne firent pas à l’époque.

Malgré ce révisionnisme historique de la part de Toronto au sujet d’Henry Dundas et de son héritage, la ville a déclaré dans un communiqué que le mot « Sankofa » était inspiré par le respect de l’histoire.

L’année prochaine, Toronto retirera également le nom de Dundas de deux stations de métro et d’une bibliothèque. 

Sur Dundas et l’abolition de l’esclavage

De 1776 à 1778, Dundas agit en tant qu’avocat d’un esclave en fuite, Joseph Knight, qui avait été acheté en Jamaïque puis emmené en Écosse. Jeune homme, Knight a tenté d’échapper à son propriétaire, mais en vain, il engagea une bataille juridique pour recouvrer sa liberté. L’affaire fut portée devant la plus haute cour civile d’Écosse, où Dundas dirigea l’équipe d’avocats de Knight, dans l’affaire Knight c. Wedderburn. Dundas fut assisté par des membres éminents du Siècle des Lumières écossais, ainsi que par l’écrivain Samuel Johnson, dont le biographe James Boswell écrivit plus tard : « Je ne saurais trop louer le discours que M. Henry Dundas a généreusement contribué à la cause de l’étranger noir. ...Et je déclare que sur cette question mémorable, il m’a impressionné, et je crois tout son auditoire, avec des sentiments tels que ceux produits par certaines des plus éminentes oraisons de l’antiquité. »

 Dundas fit valoir qu’« au fur et à mesure que le christianisme gagnait du terrain dans les différentes nations, l’esclavage était aboli » et, notant une décision anti-esclavagiste antérieure dans l’affaire Somerset c. Stewart en Angleterre, Dundas déclara « qu’il espérait, pour l’honneur de l’Écosse, que la Cour suprême de ce pays ne serait pas la seule à donner son aval à une revendication aussi barbare » : « La nature humaine, mesdames et messieurs, répugne à l’idée de l’esclavage au sein de notre espèce, quelle qu’elle soit ». Sa plaidoirie devant la plus haute cour d’Écosse a été couronnée de succès et la Cour statua : « la domination exercée sur ce nègre, en vertu de la loi jamaïcaine, étant injuste, ne peut en aucun cas être maintenue dans ce pays ». Michael Fry a déclaré que le succès de Dundas dans l’affaire Knight c. Wedderburn a joué un rôle déterminant dans l’interdiction non seulement de l’esclavage des nègres, mais aussi du servage autochtone en Écosse.

Le 2 avril 1792, l’abolitionniste William Wilberforce a parrainé une motion à la Chambre des communes « selon laquelle le commerce pratiqué par les sujets britanniques, dans le but d’obtenir des esclaves sur la côte africaine, devrait être aboli ». Il avait présenté une motion similaire en 1791, qui avait été sèchement rejetée par les députés, par 163 voix contre 88. Dundas n’était pas présent lors de ce vote, mais lorsque la question fut à nouveau soumise aux députés en 1792, il déposa une pétition d’habitants d’Édimbourg favorables à l’abolition. Il affirma ensuite son accord de principe avec la motion de Wilberforce : « Mon opinion a toujours été contre la traite des esclaves ». Il affirme cependant qu’un vote en faveur de l’abolition immédiate serait inefficace, car il pousserait la traite des esclaves dans la clandestinité ou entre les mains de nations étrangères, échappant ainsi au contrôle de la Grande-Bretagne. Il a déclaré : « Ce commerce doit être finalement aboli ». Il suggère que l’esclavage et le commerce des esclaves soient abolis ensemble et propose de mettre fin à l’esclavage héréditaire, ce qui aurait permis aux enfants nés d’esclaves actuels de devenir des personnes libres à l’âge adulte. Il présente ensuite un amendement visant à ajouter le mot « graduel » à la motion de Wilberforce. L’amendement est adopté et la motion est votée par 230 voix contre 85 ; pour la première fois, la Chambre des communes vote en faveur de la fin de la traite des esclaves.

Trois semaines après le vote, Dundas déposa des résolutions établissant un plan de mise en œuvre de l’abolition progressive pour la fin de l’année 1799. À l’époque, il déclare à la Chambre que si l’on procédait trop rapidement, les marchands et les propriétaires terriens des Antilles poursuivraient la traite « d’une manière différente et par d’autres voies » et que « si le comité accordait le délai proposé, il pourrait abolir la traite ; mais, au contraire, si cet avis n’était pas suivi, leurs enfants encore à naître ne verraient pas la fin de la traite ». Les députés ignorèrent ses mises en garde et votèrent en faveur de l’abolition de la traite des esclaves à la fin de l’année 1796. La motion et les résolutions n’obtinrent pas le soutien nécessaire de la Chambre des Lords, qui reporta l’examen de la question, puis l’abandonna complètement.

D’autres mesures ont été proposées plus tard dans les années 1790. Dundas s’exprima contre des propositions spécifiques présentées en 1796, tout en réitérant son soutien à l’abolition en principe, mais s’abstint de voter. La perte d’élan est liée à trois années de guerre sur trois continents, y compris avec la France révolutionnaire.

Ce n’est qu’en 1807 que la Chambre des Lords vota en faveur de l’abolition du commerce des esclaves. L’historien Stephen Farrell a noté qu’à cette époque, le climat politique avait changé et que les avantages économiques de l’abolition étaient devenus évidents La loi sur le commerce des esclaves de 1807 interdisait le commerce des esclaves dans l’Empire britannique. La propriété d’esclaves est toutefois restée légale dans la majeure partie de l’Empire britannique jusqu’à l’adoption du Slavery Abolition Act (loi sur l’abolition de l’esclavage) de 1833.

Les abolitionnistes ont fait valoir que les assemblées des Antilles ne soutiendraient jamais de telles mesures et qu’en faisant dépendre l’abolition de la traite des esclaves de réformes coloniales, Dundas la retardait en fait indéfiniment. Il existe cependant des preuves que Dundas avait obtenu l’accord des Antillais avant de proposer un délai de huit ans. Des études récentes, évaluées par des pairs, ont également mis en évidence de nouvelles archives montrant que Dundas avait le soutien de plusieurs abolitionnistes de premier plan, alors que les propriétaires d’esclaves antillais s’opposaient à son plan tout autant qu’ils s’opposaient à une abolition immédiate.

Quelques années après l’adoption de la loi sur la traite des esclaves de 1807, Wilberforce et Dundas se rencontrèrent. Wilberforce relata l’événement comme suit : « Nous ne nous sommes pas rencontrés pendant longtemps […]. Environ un an avant sa mort… nous nous sommes vus, et j’ai d’abord pensé qu’il passait, mais il s’est arrêté et m’a appelé : “Ah, Wilberforce, comment allez-vous ?” Et il m’a serré chaleureusement la main. J’aurais donné mille livres pour cette poignée de main. Je ne l’ai jamais revu par la suite ».

Dispute universitaire quant à l’impact de Dundas sur l’abolition

Au XXe siècle, les historiens étaient divisés sur la question de savoir si Dundas devait être tenu pour seul responsable de la prolongation de la traite des esclaves. Les historiens du commerce des esclaves et du mouvement abolitionniste, notamment David Brion Davis, Roger Anstey, Robin Blackburn et Stephen Tomkins, ont estimé que les actions de Dundas avaient retardé l’abolition au lieu de la faciliter. Selon Davis, « en faisant dépendre l’abolition de la traite des esclaves des réformes coloniales, Dundas a laissé entrevoir la possibilité d’un retard indéfini ». Stephen Mullen, chercheur associé à l’université de Glasgow, a qualifié Dundas de « grand retardateur » de l’abolition en 2021. Ces affirmations ont été critiquées par l’historienne Angela McCarthy, qui a rejeté l’idée que les actions de Dundas aient été si singulièrement déterminantes pour le cours des événements.

D’autres historiens de l’histoire britannique soutiennent que le retard était inévitable. Angela McCarthy note que les guerres révolutionnaires avec la France et l’opposition de la Chambre des Lords et de la famille royale ont constitué d’énormes obstacles. Sir Tom Devine, qui a notamment publié Recovering Scotland’s Slavery Past : The Caribbean Connection (Edinburgh University Press, 2015), a déclaré que blâmer Dundas uniquement pour le retard dans l’abolition de la traite des esclaves ignorait les facteurs politiques et économiques plus larges qui étaient les véritables causes du retard. Dans un autre article de Scottish Affairs, McCarthy soutient que le professeur émérite Sir Geoff Palmer, principal activiste anti-Dundas, a déformé à plusieurs reprises des sources publiées. Brian Young note qu’en 1792, la motion en faveur de l’arrêt immédiat de la traite des esclaves se dirigeait vers une défaite certaine.

 En insérant le mot « graduel » dans la motion, Young affirme que Dundas a assuré le succès du vote en faveur de l’abolition définitive du commerce des esclaves.

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